Les premières mesures de la loi climat et résilience sont entrées en vigueur le 24 août 2022, avec le gel des loyers des logements les plus énergivores. Comme vous le savez sans doute, les dispositions de cette loi ont un impact direct (et majeur) sur le secteur de l’immobilier, en ce qui concerne les performances énergétiques des bâtiments.
C’est vrai des vendeurs, qui doivent remettre un DPE (nouvelle version) aux acquéreurs. C’est vrai des propriétaires bailleurs, soumis à des contraintes de plus en plus forte dans le cadre des locations – avec, en ligne de mire, les fameuses « passoires thermiques » ciblées explicitement par la loi climat.
Les mesures issues de ces dispositions doivent donc être prises en compte par les différents acteurs de l’immobilier, et dans certains cas, les amener à réaliser des travaux de rénovation énergétique.
Or, les conseillers immobiliers ne sont pas là seulement pour gérer des transactions et administrer des biens. En tant que professionnels, vous avez également un rôle de conseil au regard de vos prospects et clients, qu’ils soient vendeurs, acheteurs ou bailleurs. Compte tenu des enjeux que revêt la performance énergétique, vous avez le devoir de vous tenir au courant des évolutions législatives et d’en informer ceux que vous accompagnez au quotidien, afin qu’ils puissent prendre les meilleures décisions.
À travers une série d’articles, nous vous proposons de faire le point sur les mesures gouvernementales touchant à la performance énergétique des bâtiments et de regarder de près les obligations qui incombent aux propriétaires et bailleurs. Dans un premier temps, nous allons nous concentrer sur les politiques de rénovation énergétique au fil des décennies, pour en arriver à la loi énergie-climat – qui a occasionné des débats houleux.
Les politiques de rénovation énergétique en France : une rétrospective (pour mieux comprendre les enjeux)
Le secteur du bâtiment est l’un des plus énergivores. En France, il représente 44 % de l’énergie totale consommée, ce qui le place devant les transports (33 %), avec 120 millions de tonnes de CO2 émises en moyenne chaque année, soit près du quart des émissions nationales. (Chiffres issus du ministère de l’Écologie.) Cette consommation élevée est générée par la construction, mais aussi par l’utilisation courante des bâtiments : chauffage, production d’eau chaude sanitaire, éclairage et climatisation.
On comprend aisément pourquoi le bâtiment est visé au premier chef par les mesures gouvernementales qui ambitionnent de réduire la consommation énergétique, mais aussi d’améliorer le bien-être des habitants en optimisant le confort thermique et en réduisant le montant des factures. L’incertitude relative à l’approvisionnement en gaz russe consécutive au conflit ukrainien, adossée à la hausse exponentielle des prix de l’énergie ces dernières années, n’a fait que rendre cette problématique plus prégnante.
Depuis près d’un demi-siècle, le gouvernement français s’attache donc à établir une politique énergétique cohérente, construite sur trois axes : réglementer pour réduire la consommation, sensibiliser pour favoriser les bons comportements, inciter à la construction « verte » et à la rénovation énergétique.
Pour bien comprendre comment les choses se sont mises en place, jetons un œil sur la progression des décisions politiques ces dernières décennies.
Les premiers questionnements énergétiques en France (années 70)
Sans conteste, ce sont les deux chocs pétroliers des années 70 (marqués par hausse explosive du prix du baril de pétrole) qui ont ouvert les yeux du monde sur le problème de la dépendance aux énergies fossiles, et mis fin à une période d’abondance autant que d’insouciance.
En France, le premier choc pétrolier occasionne la création de l’Agence pour les économies d’énergie (AEE), qui d’une certaine manière inscrit dans le paysage public la question de la sobriété énergétique. En optimisant la consommation, le but de l’AEE est de réduire les besoins en pétrole dans les différents secteurs – industrie, transport, commerce, etc. Ce premier établissement évoluera plus tard pour devenir l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME), jusqu’à former, en 1991, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui est actuellement un acteur central de la rénovation énergétique et de l’accès des particuliers à l’information.
Pour absorber le « choc », le gouvernement de l’époque prend un arrêté relatif à l’isolation thermique et au réglage automatique des installations de chauffage dans les bâtiments résidentiels neufs. C’est l’une des toutes premières dispositions en ce sens – elle date du 10 avril 1974.
Dans la foulée, la même année, est mise en place la première réglementation thermique des bâtiments. La RT 1974 entre en vigueur en 1975 et ne concerne que les constructions neuves résidentielles. Mais la date est d’importance : pour la première fois, les pouvoirs publics imposent des normes d’isolation thermique et de réglage des appareils de chauffage dans les habitations françaises, en imposant des objectifs chiffrés (225 kWh/m2/an et par logement en 1974). Elle sera suivie de plusieurs autres réglementations : RT 1982, RT 1988, RT 2000, RT 2005, RT 2012, puis RT 2020, chacune d’elle baissant de 20 % l’objectif de base.
Avec le second choc pétrolier, des questions inédites commencent à émerger. La création de l’ancêtre de l’Ademe coïncide avec les premières réflexions autour de la rénovation énergétique des bâtiments existants, dans une perspective qui n’est plus uniquement économique, mais écologique. Car, tout doucement, les enjeux climatiques pointent le bout de leur nez. La même année (1979) est lancé le Programme de recherche climatologique mondial suite à la Conférence de Genève, qui aboutira, dix ans plus tard, à la création du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
La rénovation énergétique sur le devant de la scène (années 2000)
Progressivement, en marge des obligations faites aux acteurs de la construction via les réglementations thermiques successives, le gouvernement conçoit des mesures visant à inciter les particuliers à effectuer des travaux dans leur logement. L’objectif ? Faire de la rénovation énergétique une option accessible à tous ceux qui le souhaitent.
En 2005, la loi POPE (loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique) introduit le dispositif des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE). Les particuliers et les professionnels se voient accorder des éco-primes en contrepartie de la réalisation de travaux visant à améliorer les performances énergétiques de leur habitation ou de leurs bureaux. Les fournisseurs d’énergie et les organismes qui en vendent (comme les supermarchés équipés de stations-service) jouent les intermédiaires entre le gouvernement et les particuliers : ce sont eux qui financent le mécanisme, à proportion de leur volume de vente d’énergie.
Bientôt, l’énergie devient officiellement une préoccupation environnementale, lorsque la Direction Générale de l’Énergie et du Climat (DGEC) est placée sous la coupe du ministère de l’Écologie, après avoir été rattachée à celui de l’Économie. En parallèle, le rôle de l’activité humaine dans l’accroissement des températures est mis en avant par le GIEC, et les Conférences des Parties (COP) qui se tiennent d’année en année entérinent ce fait scientifique, qu’elles traduisent sous forme de mesures – non contraignantes, toutefois.
D’autres aides à la rénovation énergétique sont mises en place, comme l’éco-prêt à taux zéro en 2009 (nous ferons le point sur ces aides financières dans un prochain article de cette série). Suivent les lois Grenelle I et II (2009 et 2010), issues du Grenelle de l’Environnement, grâce auxquelles la France se dote d’un Plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et conséquemment, de rénovation énergétique des bâtiments (neufs et existants). La loi Grenelle II pose également la question de la précarité énergétique, avec la rénovation des performances des bâtiments en guise de réponse. Une prise de conscience qui mène, en 2013, au lancement du Plan de rénovation énergétique de l’habitat : un plan qui définit des objectifs de rénovation énergétique jusqu’à 2017.
La loi de transition énergétique
La loi de transition énergétique de 2015 marque un tournant dans les politiques de rénovation énergétique. Il s’agit, à travers ce texte, de fixer des objectifs chiffrés et d’inscrire dans le marbre les moyens d’action à mettre en œuvre pour respecter les mesures prises lors de l’Accord de Paris sur le climat.
La loi ambitionne de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de limiter la consommation énergétique des bâtiments, d’accélérer la rénovation énergétique, d’encourager les acteurs de la construction à recourir aux matériaux durables et aux énergies renouvelables, et de renforcer le rôle des collectivités locales en tant que facilitateurs de projets de rénovation.
Notons, en particulier, trois points de la loi de transition énergétique qui font écho aux préoccupations des professionnels de l’immobilier :
- Pour la construction, la loi prévoit un niveau de performance énergétique conforme à la norme « Bâtiment basse consommation » (BBC) pour l’ensemble du parc de logements d’ici à 2050.
- Pour les bâtiments existants, la loi impose le renforcement de l’isolation thermique lors de travaux de rénovation importants. Par exemple, il est obligatoire, pour les particuliers, d’effectuer des travaux de rénovation énergétique sur les murs extérieurs d’un bâtiment lors d’un ravalement de façade ou d’une réfection de toiture (typiquement, lorsqu’un certain pourcentage de la surface de la façade ou du toit est concerné par le projet de rénovation). Dans les copropriétés, les prises de décision en lien avec l’amélioration de l’efficacité énergétique des parties communes sont simplifiées.
- Pour les ménages modestes, la loi prévoit la création d’un chèque énergie, met en place l’obligation d’individualisation des frais de chauffage (pour les immeubles pourvus d’un système collectif de chauffage), et impose aux fournisseurs d’énergie de soutenir en priorité les ménages aux revenus les plus modestes.
Retour au présent : les lois « climat » et le renforcement des obligations de rénovation énergétique
Cette rétrospective nous amène à ce qui nous intéresse : les deux lois « climat ». La première, la loi dite « énergie-climat », a été adoptée en novembre 2019 et fixe des objectifs ambitieux au regard de la maîtrise de la consommation énergétique et de la réduction des émissions de CO2, avec une ambition chiffrée : atteindre la neutralité carbone en 2050 (pour l’ensemble du territoire français), toujours dans la lignée des décisions prises lors de l’Accord de Paris. Elle porte sur quatre grands principes : réduire la part des énergies fossiles dans la consommation énergétique du pays, au profit des énergies renouvelables ; réguler le secteur de l’électricité et du gaz (la lutte contre la fraude aux certificats d’énergie en fait partie) ; créer des outils de pilotage et de gouvernance dédiés au suivi et à l’évaluation des mesures ; et lutter contre les logements énergivores, à travers des mesures contraignantes.
En juillet 2021, le Parlement a adopté une version évoluée de ce texte, la « loi climat et résilience » (dans le détail : la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience), issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Elle vise à ancrer l’écologie dans notre société, notamment en renforçant les obligations relatives aux performances énergétiques des logements. Ce qu’il faut retenir, c ‘est que les dispositions de cette loi viennent confirmer les mesures inscrites dans le texte de 2019 et instaurer un nouveau calendrier pour les obligations imposées aux propriétaires. C’est donc à cette loi de 2021 que nous allons nous référer maintenant. (Pour rappel, nous avons déjà évoqué cette question, très brièvement, dans l’article « Immobilier : les changements importants au 1er janvier 2022 ».)
La chasse aux passoires thermiques
La mise en cause des passoires thermiques constitue, en effet, l’enjeu principal du volet « immobilier » de la loi climat. L’expression désigne les logements dont la consommation en énergie relève des classes F et G du diagnostic de performance énergétique, qui sont donc les premiers visés par les mesures visant à rationaliser l’efficacité énergétique des bâtiments, et à pousser les propriétaires à effectuer des travaux de rénovation énergétique. Le nombre de ces logements est estimé à 4,8 millions, dont un tiers (1,7 million) dans le parc locatif privé.
De fait, la loi climat change radicalement l’angle de vue adopté par les politiques publiques établies depuis un demi-siècle. Et cela, d’au moins deux façons :
- En se tournant vers le parc immobilier existant, au lieu de se focaliser presque exclusivement (comme c’était le cas auparavant) sur les bâtiments neufs. Ce qui veut dire que, cette fois, il ne s’agit plus seulement d’inciter à la rénovation énergétique par le biais d’une série de leviers financiers, mais de montrer du doigt les logements dont les performances énergétiques sont hors cadre, notamment grâce à la nouvelle formule du DPE que tout propriétaire vendeur se doit de présenter à ses acquéreurs.
- En imposant des obligations contraignantes aux propriétaires bailleurs pour qu’ils mettent en œuvre des travaux de rénovation énergétique, au risque de ne plus pouvoir proposer leur(s) bien(s) immobilier(s) à la location sur le marché privé.
Les mesures issues du volet « immobilier » de la loi climat sont on-ne-peut-plus concrètes. Depuis le 24 août 2022, les propriétaires des logements qualifiés de passoires thermiques ont l’interdiction d’en augmenter le loyer entre deux locations, sauf si des travaux ont été réalisés pour en améliorer l’efficacité énergétique. À terme, les logements trop énergivores seront tout simplement interdits à la location, sachant qu’après les classes F et G, c’est la classe E qui sera visée à l’horizon 2034. Nous reviendrons longuement sur ces obligations dans le prochain article de la série.
L’obligation d’agir au plus vite… et de conseiller vos prospects et clients en conséquence
Il est indiscutable que les choses s’accélèrent, et que le temps n’est plus seulement à la réflexion, mais à l’action. La loi énergie-climat fait passer un message important : les politiques publiques ne s’interdisent plus d’être contraignantes au regard des questions de rénovation énergétique.
Quoi que l’on pense de cette loi et de son bien-fondé (nous verrons, dans l’article consacré aux obligations faites aux propriétaires, que le texte présente un certain nombre de limites), il est indispensable d’agir au plus vite.
Et, pour les professionnels de l’immobilier, de devenir des relais d’information auprès des prospects et clients, afin d’orienter ceux-ci dans la bonne direction… et dans les meilleurs délais !
Ressources complémentaires
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