Un bon leader est-il forcément un tyran ?

11 décembre 2024

Je viens tout juste de refermer les pages de deux biographies fascinantes écrites par Walter Isaacson : l’une consacrée à Steve Jobs, l’autre à Elon Musk.

Ces ouvrages plongent au cœur des vies de deux des plus grands innovateurs de notre époque. Mais pendant ma lecture, une question s’est imposée à moi : pourquoi associe-t-on si souvent le succès à des figures tyranniques ? Car Steve Jobs et Elon Musk sont des génies créatifs, oui, mais aussi des leaders impitoyables.

Jobs, à son époque, humiliait volontiers ses collaborateurs, imposait des délais impossibles, et « empruntait » les idées des autres – sans remords. Musk, aujourd’hui, exige des semaines de travail de 80 heures, envoie des textos en pleine nuit, et demande l’impossible à ses équipes.

Leurs méthodes ne sont rien moins qu’oppressives. Et pourtant, elles semblent porter leurs fruits.

Ce constat m’a poussé à me poser une série de questions :

  • Peut-on être un bon leader sans être un tyran ?
  • Est-il possible de révolutionner une industrie en privilégiant l’empathie et l’écoute ?
  • Bref, peut-on être à la fois bon et efficace ?

Je vous propose d’essayer d’y répondre dans cet article sur le thème « leadership et tyrannie ».

Ces fous qui changent le monde

Souvenez-vous de cette publicité emblématique d’Apple dans les années 90 sur le fait de « penser autrement », et de cette formule qui la concluait : « Les gens assez fous pour croire qu’ils peuvent changer le monde sont ceux qui le font ».

Cette phrase capture l’essence même de figures emblématiques comme Steve Jobs. Car les révolutions sont très souvent lancées par des personnages marginaux, visionnaires… Mais aussi excessifs, capables de tout emporter sur leur passage. En un mot : par des tyrans dans leur genre.

Steve Jobs, par exemple, a littéralement changé le monde. Co-fondateur d’Apple, il a transformé l’informatique personnelle, créé le Macintosh, et redéfini la téléphonie mobile avec l’iPhone. Il était un génie. Mais son génie avait un prix.

Et quel prix !

Jobs n’hésitait pas à humilier ses équipes, à hurler pendant les réunions, et à imposer des délais impossibles. Sa maison ? Elle était vide, parce que son perfectionnisme l’empêchait de choisir des meubles. Sa tenue vestimentaire ? Un éternel col roulé noir, des jeans et des baskets, symboles d’une austérité quasi-monastique.

Mais cette dureté s’accompagnait d’une force indéniable. Jobs avait une vision si claire qu’il pouvait tordre la réalité pour rendre l’impossible possible. Sous sa direction, ses équipes ont accompli des merveilles. Avec des conséquences humaines : beaucoup d’employés ont quitté Apple épuisés, démotivés, parfois même traumatisés.

Est-ce que ces méthodes étaient un mal nécessaire ? Aurions-nous eu le Macintosh ou l’iPhone sans son leadership tyrannique ? Ou aurait-il été possible d’obtenir les mêmes résultats sans écraser ceux qui l’entouraient ?

En somme, leadership et tyrannie vont-ils forcément ensemble ?

L’évolution de la culture du leadership

Pendant des décennies, on a cru que le fait de diriger avec une main de fer était la seule voie possible menant au sommet. Dans les années 70 à 90, les résultats primaient sur les relations humaines : les leaders tyranniques étaient valorisés, dès lors que leurs méthodes donnaient des fruits.

Mais depuis le début des années 2000, un vent de changement souffle sur le monde du management. Les entreprises ont évolué, tout comme les attentes des employés. Des notions comme l’empathie, l’inclusion et la collaboration ont pris de l’importance.

Aujourd’hui, on parle de bien-être au travail, de leadership bienveillant. Et les pratiques d’un autre temps sont de plus en plus critiquées. Sur les réseaux sociaux, le « leadership toxique » est pointé du doigt, dénoncé, exposé sur la place publique.

Steve Jobs, s’il dirigeait aujourd’hui comme il l’a fait dans les années 80, se heurterait probablement à un torrent de critiques.

Les temps ont changé. Mais cela soulève une autre question, essentielle : en rejetant ces méthodes brutales, ne prenons-nous pas le risque de créer un monde entrepreneurial trop aseptisé, incapable de produire des innovations révolutionnaires ?

Elon Musk : un tyran moderne ?

Pour explorer cette question, intéressons-nous à Elon Musk, cet autre génie controversé. Le patron de Tesla et de SpaceX perpétue, à sa manière, une tradition de leadership brutal, tout en l’adaptant à notre époque.

Comme Jobs, Musk impose des délais irréalistes et fixe des objectifs irréalistes. Son style de travail ? « Hardcore », comme il aime à le dire. Des semaines de 80 heures, des réunions avant l’aube, des textos nocturnes. Travailler pour lui peut sembler insupportable, et pourtant, ses entreprises génèrent des résultats extraordinaires.

Tesla a révolutionné l’automobile électrique. SpaceX redéfinit l’exploration spatiale avec des innovations comme Starship. Musk inspire ses équipes à croire en l’impossible, notamment en l’idée qu’un jour, l’humanité colonisera Mars.

Mais Musk est aussi un produit de son temps. Contrairement à Jobs, qui exprimait sa brutalité dans l’intimité, entre quatre murs, Musk externalise tout. Il partage ses décisions et provocations sur les réseaux sociaux, faisant de lui un personnage public polarisant. Là où Jobs cherchait à maîtriser son image, Musk embrasse le chaos médiatique, parfois au détriment de ses employés ou de ses entreprises.

Le leadership et la tyrannie : un mal nécessaire ?

Face à ces exemples, doit-on en conclure que la tyrannie est essentielle au succès ?

Les faits parlent d’eux-mêmes : Jobs et Musk ont transformé leurs industries. La pression qu’ils exercent peut pousser leurs collaborateurs à exceller, à innover, et à dépasser leurs limites. L’environnement qu’ils produisent est stimulant.

Mais cette pression a un coût. Elle détruit souvent ceux et celles qui la subissent. Les burnouts, la démotivation et les départs en masse sont fréquents. À long terme, ces méthodes sont-elles viables ?

Je ne le pense pas.

Une alternative : le leadership bienveillant

Heureusement, il existe d’autres modèles que le leadership et la tyrannie. Satya Nadella, PDG de Microsoft, a transformé la culture individualiste de l’entreprise en un modèle collaboratif et bienveillant. Bill Gates, bien que compétitif, a également marqué son époque sans sombrer dans la tyrannie.

Les études psychologiques montrent que le leadership par la contrainte n’est pas aussi efficace qu’on veut bien le croire. Une théorie intéressante, celle de la « régression vers la moyenne », explique que la performance, lorsqu’elle est extrême (dans le bon ou dans le mauvais sens), tend naturellement à revenir à la normale. Cela suggère qu’une approche basée sur la récompense et la bienveillance pourrait être tout aussi, sinon plus, efficace que la pression et la punition.

En ce sens, peut-être que le leadership brutal appartient au passé. Les générations actuelles et futures valorisent le bien-être au travail, l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, et les entreprises sont contraintes de s’adapter. La réputation d’un employeur influence désormais les choix des candidats : c’est d’autant plus vrai qu’il est aujourd’hui possible de se renseigner sur une société en lisant les avis laissés par ses employés (ou ex-employés).

Nous vivons une époque où tout se sait, où rien ne reste impuni. Dans ce contexte, les Steve Jobs de demain auront-ils encore une place ? Ou devront-ils apprendre à équilibrer ambition et humanité ?

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Sommes-nous prêts à sacrifier la vision et l’innovation au nom du bien-être ? Ou, au contraire, condamnons-nous définitivement la tyrannie comme une relique du passé ?

Je n’ai pas de réponse définitive. Mais je crois fermement que le leadership de demain devra trouver cet équilibre fragile entre exiger le meilleur et respecter l’humain.

Et vous, quelle est votre opinion au sujet du leadership et de la tyrannie ? Un tyran visionnaire est-il excusable s’il change le monde ? Ou faut-il toujours privilégier l’humain avant tout ?

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