fraude aux dossiers locatifs

Hausse de la fraude aux dossiers locatifs : comment les professionnels doivent-ils réagir ?

19 juillet 2024

La fraude aux dossiers locatifs a toujours existé : vous êtes forcément déjà tombé·e sur un·e candidat·e ayant bidouillé une fiche de paie ou exagéré la solidité de son contrat de travail. Ce qui est inédit, en revanche, c’est l’ampleur du phénomène : en moyenne, la fraude a bondi de 20 % entre 2022 et 2023, selon une enquête menée par le site Imodirect. En région parisienne, un candidat locataire sur cinq a falsifié au moins en partie son dossier durant l’année 2023.

Ces chiffres ne laissent pas de place à l’hésitation : il faut reconnaître que la fraude locative est devenue massive et qu’elle s’est installée dans le paysage. Pour quelles raisons ? Comment les professionnels de la gestion locative peuvent-ils relever ce défi pour aider leurs bailleurs à identifier les tromperies et à choisir leurs locataires sur des bases de confiance ?

Les chiffres de la fraude aux dossiers locatifs

Le constat est sans appel : de 2022 à 2023, la fraude aux dossiers locatifs a augmenté de 15 % à Paris et en petite couronne, et de plus de 20 % en province. Environ 23 % des dossiers ont été falsifiés dans la capitale et dans sa région, ce qui fait plus d’1 dossier frauduleux sur 5 (contre 1 sur 8 en province). L’enquête d’Imodirect souligne que ces dossiers comportent « au moins un élément frauduleux » et que la falsification concerne aussi bien les candidats locataires eux-mêmes que leurs garants.

Au jeu du bidouillage, les bulletins de salaire sont clairement les vainqueurs : ils représentent plus de 80 % des documents falsifiés. La raison n’est pas difficile à comprendre : la règle des « trois fois le loyer » interdit d’accès au logement une partie des candidats dans les zones où les loyers sont très élevés, notamment lorsqu’ils ne peuvent pas compter sur des garants aisés pour les soutenir. Il est donc tentant de retoucher légèrement les fiches de paie de façon à enfler le salaire net.

Autre pratique courante : maquiller un CDD en CDI, ou modifier la date d’entrée dans l’entreprise pour gommer une période d’essai ou pour augmenter l’ancienneté (une indication rassurante pour les bailleurs). Les outils de retouche comme Photoshop et les lecteurs de fichiers PDF comme Acrobat Reader ont « démocratisé » l’accès à ce type de manipulation, en permettant de changer aisément des mentions simples : date, nom, adresse, montant. Des transformations difficiles à déceler pour un œil non averti.

Les causes d’une tricherie locative devenue massive

Il semblerait donc que la fraude aux dossiers locatifs soit devenue massive – et, d’une certaine manière, incontournable pour de nombreux Français. La situation sur le marché locatif est si tendue que, pour au moins 20 % des candidats, la falsification des documents est tout bonnement le seul moyen pour trouver un logement dans certaines zones géographiques. Car, sans chercher à atténuer la faute, il est néanmoins important de comprendre que le but de la plupart des locataires n’est pas de tromper les propriétaires, mais de donner à leur dossier un minimum de chance d’être considéré.

Les professionnels de l’immobilier n’y sont pas aveugles. Vous êtes certainement conscient·e des difficultés rencontrées par les candidats pour trouver un logement. Mais en connaissez-vous les causes ? Elles sont multifactorielles :

  • La hausse continue des loyers, associée à une progression de la demande locative et à une réduction drastique de l’offre. Il y a moins de logements en location pour toujours plus de candidats (et l’expansion des locations saisonnières dans les grandes villes n’y est pas étranger : ce qui explique des initiatives réglementaires comme la loi anti Airbnb). En région parisienne, il n’est pas rare de voir une centaine de candidats se présenter pour visiter un logement !
  • Le durcissement de la réglementation, interdisant petit à petit la mise en location des logements énergivores, ou étendant à de nouvelles villes l’encadrement des loyers. Ces mesures ont certes une raison d’être (leurs prémisses ne sont pas critiquables : il faut bien pouvoir assurer le confort thermique et financier des locataires), mais les réponses apportées par les autorités restent discutables, car ayant pour effet de sortir des dizaines de milliers de biens du marché locatif.
  • La forte hausse des taux d’emprunt, qui empêche les locataires de devenir des propriétaires et les condamne à continuer à louer encore durant de longs mois ou années.
  • Et, bien entendu, la rigueur avec laquelle les dossiers de candidature sont choisis, à la fois par les bailleurs (privés ou sociaux) et par les gestionnaires de biens. De fait, les propriétaires et les administrateurs de biens ont tendance à ne retenir que les meilleures candidatures, celles qui cochent toutes les cases de la sécurité : revenus élevés, contrat de travail solide, ancienneté dans l’entreprise. Ce qui, soyons francs, ne correspond plus que partiellement à la réalité contemporaine du travail.

En somme, pour les candidats, le marché locatif est un territoire hostile dans lequel tous les moyens sont bons pour parvenir à leurs fins. Et comment les en blâmer ? Il s’agit, après tout, de répondre à un besoin qui est tout sauf secondaire – trouver un toit à mettre au-dessus de sa tête.

Les défis auxquels font face les professionnels de l’immobilier

Il va sans dire que ces pratiques sont risquées pour les locataires. Le Code pénal prévoit jusqu’à 45 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement pour usage de faux. En février 2024, un locataire ayant présenté des fiches de paie falsifiées a été condamné par le tribunal judiciaire de Vannes à 2 500 euros d’amende et à de la prison ferme. Pour autant, ces sanctions ne sont rien d’autre qu’un pansement sur une jambe cassée : elles ne font que donner l’illusion que le problème peut être traité en surface, alors que sa racine est bien plus profonde.

Pour les bailleurs comme pour les professionnels de l’immobilier, c’est un défi majeur à relever – car il faut pouvoir identifier les fraudeurs immédiatement, sans attendre une enquête et une éventuelle sanction judiciaire. Comment authentifier un document ? Comment reconnaître une falsification ? L’enjeu est d’autant plus grand pour les gestionnaires de biens qu’ils sont responsables des choix opérés pour le compte des bailleurs qui leur font confiance.

Plusieurs méthodes simples permettent d’identifier les faux, la principale étant de croiser les données du dossier. On l’a vu : les candidats ont tendance à modifier au moins un élément de leur dossier, et cet élément est souvent une fiche de paie. Une rapide comparaison avec l’avis d’imposition contribue généralement à déceler la fraude. Pour ce qui est du bulletin de salaire en tant que tel, un œil exercé peut facilement trouver des erreurs dans les calculs de congés payés, ou des incohérences dans le taux de l’impôt prélevé à la source. Par ailleurs, l’administration met à disposition un service gratuit de vérification de la conformité des avis d’imposition : Verifavis, Il suffit d’entrer le numéro fiscal du candidat et la référence de son avis.

Une autre solution consiste à demander aux locataires de se présenter avec les originaux de leurs pièces justificatives. En effet, les originaux sont plus difficiles à falsifier que les copies en noir et blanc, ce qui permet de se prémunir contre les « petits » fraudeurs.

Mais ces méthodes élémentaires ne suffisent pas toujours. Heureusement, des solutions innovantes arrivent sur le marché : l’entreprise toulousaine EazyRent a développé un outil d’intelligence artificielle capable d’analyser les dossiers locatifs, de déceler les manipulations de fichiers et de visuels, et de repérer les contradictions relatives aux données financières (le programme est en lien avec l’administration fiscale). En fin de processus, l’outil attribue au dossier un score de véracité, laissant au professionnel le soin de poser un jugement final.

La fraude aux dossiers locatifs n’est donc pas aisée à repérer, et la marge d’erreur reste importante. Quant aux outils d’analyse, ils sont, pour le moment, réservés aux professionnels (assureurs, bailleurs sociaux et conseillers immobiliers). La bonne nouvelle, c’est qu’il s’agit aussi d’une opportunité pour les professionnels, un argument à ajouter au discours commercial à l’attention des prospects bailleurs : vous êtes les mieux placés pour détecter les faux dossiers et pour assurer la protection des propriétaires. De quoi faire d’un problème… une force !

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