Les agents immobiliers sont-ils condamnés à l’extinction ?
C’est ce qu’annoncent quantité de médias et d’études depuis plusieurs années, au prétexte que l’essor du digital conduirait forcément à la disparition des métiers de la transaction. Dans ce paradigme, Internet serait l’équivalent de l’astéroïde qui a conduit à l’anéantissement des dinosaures il y a 66 millions d’années : au-delà du choc initial, ce sont ses effets à long terme qui risquent de mettre fin au règne de l’agent immobilier.
Il suffit de jeter un œil sur Google pour dénicher de sombres avertissements, dignes de la Pythie antique : « Le digital annonce-t-il la disparition de l’agent immobilier ? » (La Tribune, 11 octobre 2018). « Faut-il vraiment faire disparaître les agences immobilières ? » (Capital, 21 janvier 2019). Et, plus loin dans le temps : « Crise de l’immobilier et disparition annoncée des agents immobiliers » (Agoravox, 19 mars 2015), « Internet peut-il remplacer les agences immobilières ? » (Immo Matin, 18 décembre 2014), ou encore « La disparition de l’agent immobilier : utopies et réalités de l’intermédiation » (L’état des entreprises 2014, éd. La Découverte). Dans ce dernier exemple, l’auteur paraphrase une analyse antérieure qui qualifie les agents immobiliers de « reliques d’un ancien système voué à disparaître » et considère que « l’existence actuelle des intermédiaires [est] au mieux, temporaire » (voir l’extrait présenté sur cette page).
L’utilisation grandissante du web dans un cadre immobilier pousse certes à s’interroger sur les conséquences de cette digitalisation de masse sur le secteur. Mais de là à programmer la disparition pure et simple des intermédiaires, il y a un monde. D’ailleurs, la plupart des articles cités s’empressent de répondre par la négative dès le titre passé… Une méthode bien connue pour pousser au clic et vendre des livres, mais qui ne tient pas compte des premiers intéressés et de leurs interrogations. Ainsi, comme d’autres représentants de votre profession, vous pensez peut-être que si tout le monde annonce la mort du métier, c’est bien qu’il doit y avoir un fond de vérité…
Dans cet article, nous allons vous montrer que, non, les agents immobiliers ne sont pas destinés à disparaître. Et, qu’au contraire, ils n’ont jamais eu autant d’importance qu’à l’ère du digital – à condition de ne pas rater la révolution en cours.
Une disparition souvent annoncée, mais jamais réalisée
D’abord, il s’agit de comprendre. Si tant de médias jouent la carte du catastrophisme, c’est qu’il doit y avoir un fond de vérité, non ? Est-ce à dire que le digital représente bel et bien un risque pour les agents immobiliers ?
L’idée que les intermédiaires sont voués à disparaître n’est pas nouvelle. Elle procède d’un paradigme simple, issu de la pensée libérale : s’il y a besoin d’un intermédiaire, c’est que le marché fonctionne mal ; si celui-ci devient autonome, s’il gagne en efficacité, l’intermédiaire n’a plus lieu d’être. En somme, l’agent immobilier n’existerait qu’en raison du mauvais fonctionnement du marché, qui parviendrait progressivement à se réguler grâce à Internet, amenant de fait à la disparition de cette anomalie à moyen terme.
Dans une enquête de 2013, deux chercheurs britanniques dressaient une liste des métiers les plus à risque au regard de la transformation digitale (vous pouvez la lire dans son intégralité, en anglais, sur ce lien). Et, dans cette liste, figurait la profession d’agent immobilier, vouée à la disparition avec un taux de probabilité élevé (0,86 sur 1), à l’égal des techniciens de maintenance et des opérateurs de machines assistées par des ordinateurs…
Six ans plus tard, l’agent immobilier n’a pas encore disparu de la surface de la Terre. Mais cette théorie n’en reste pas moins inquiétante. D’autant que les progrès du digital tendent à donner raison aux oiseaux de mauvais augure. Difficile de nier, par exemple, que le web répond à la plupart des questions que se posent les vendeurs et les acheteurs – comment trouver des biens ? comment estimer un logement ? quels sont les taux d’intérêt en vigueur ? comment ont évolué les prix sur un secteur donné ? – et que le taux de projets immobiliers qui démarrent par une recherche sur Internet atteint des sommets (90 %). Le marché, autrefois opaque et maîtrisé uniquement par une poignée de professionnels avertis, s’est libéralisé. Pour reprendre la terminologie proposée plus haut : le marché est devenu plus efficace et plus autonome. Dans ce cas, a-t-il toujours besoin de son intermédiaire ?
Ce n’est pas le cas du notaire, qui doit forcément intervenir pour valider la transaction ; ou de la banque, incontournable maillon de la chaîne qui mène au crédit immobilier ; par contre, l’agent immobilier, lui, est sur la sellette. D’ailleurs, un propriétaire sur deux tâche déjà de s’en passer, selon un sondage OpinionWay pour MeilleursAgents (août 2018).
Dans l’esprit des Cassandre, l’équation est donc simple : puisque l’agent immobilier a une faible valeur ajoutée et que ses tâches peuvent être prises en charge par des outils digitaux, c’est qu’il n’a plus vraiment de raison d’exister. Conséquence : il faudra bien l’extraire de l’équation à un moment ou un autre.
Les agents immobiliers auront toujours un rôle à jouer…
Ensuite, il s’agit d’apporter une réponse rassurante. Non, les agents immobiliers ne vont pas disparaître. Ni demain, ni dans dix ans.
Contrairement à ce qu’on serait en droit de penser, le recours à la profession est étonnamment stable depuis deux décennies. Deux tiers des transactions conclues en France sont confiées aux bons soins des agents immobiliers, un taux qui n’a pas beaucoup évolué depuis le début des années 2000 (quand le web n’avait pas encore endossé le costume de « disrupteur en chef »). On constate également (toujours grâce au sondage OpinionWay) que les zones les mieux couvertes par les données immobilières, notamment les grandes agglomérations, sont aussi celles où l’on fait le plus appel aux intermédiaires pour réaliser des transactions. En somme, plus on en sait à propos du marché, plus on tend à se faire accompagner par un professionnel.
La France reste toutefois en retrait par rapport aux pays anglo-saxons. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, plus de 90 % des transactions sont gérées par des professionnels. Les cessions de particulier à particulier constituent presque une exception à la règle. Et pourtant, direz-vous, le web s’est tout autant développé chez eux que chez nous…
… à condition de repenser leur chaîne de valeur
Mais attention : il serait faux d’affirmer que l’Homme ne peut pas être remplacé par la machine, et que les prophéties touchant aux agents immobiliers n’ont aucune chance de se réaliser. Ce serait négliger la profondeur du changement occasionné par le web. Et risquer de disparaître par négligence.
La théorie de l’évolution ne vous est pas inconnue. Darwin a statué que « les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements ». Le contexte économique actuel est si bien marqué par cette théorie qu’on parle de « darwinisme digital » pour qualifier cette situation dans laquelle une entreprise est menacée dans son existence par l’évolution de son modèle économique et des technologies afférentes.
En somme, si vous pensez que votre agence immobilière est protégée par une sorte de bulle magique, demandez-vous ce qui a bien pu arriver à des enseignes puissantes et bien installées comme Nokia, Virgin ou Kodak… Qui pensaient sans doute, elles aussi, que rien ne pouvait leur arriver…
Pour que les agents immobiliers fassent partie des « espèces qui survivent », il leur faut repenser leur chaîne de valeur à l’aune des innovations apportées par le digital – et, en premier lieu, par les startups de l’immobilier. Ces startups ont bien compris une chose : plutôt que de s’interroger sur la valeur ajoutée apportée par les clients (comme le font trop souvent les agences traditionnelles), elles se demandent quels sont les besoins non satisfaits des clients et comment y répondre avec pertinence et efficacité.
Clairement, il faut désormais tenir compte du fait qu’un prospect ne demande plus son avis à son agent immobilier de proximité, mais qu’il interroge Google en priorité. Le moteur de recherche joue le rôle d’intermédiaire entre le professionnel et le particulier : c’est lui qui dirige ce dernier vers telle ou telle enseigne, en fonction de sa capacité à répondre à la problématique exprimée par l’internaute.
C’est pourquoi l’agent immobilier doit travailler à imposer sa valeur là où tout se joue : au niveau local. On retrouve ici le questionnement sur l’avenir de l’agence physique, et les réponses concrètes à apporter : le point de vente doit rester le lieu d’un contact humain, prérequis incontournable à la création d’un socle de confiance. En ce sens, l’agence « en dur » est encore plus indispensable qu’autrefois : elle devient un espace où les prospects sont amenés à vivre des expériences qualitatives et différenciantes.
La valeur perçue de l’agent immobilier
Si le digital a pris tant de place, au risque d’élever des murs entre les particuliers et les professionnels, c’est aussi parce que les premiers ont du mal à percevoir la valeur ajoutée des seconds.
Pour le dire simplement : vos prospects peinent à identifier des différences tangibles entre votre agence et vos concurrents. Pour eux, les agents immobiliers proposent tous les mêmes services. Le fait que la prestation soit en grande partie immatérielle rend plus difficile encore l’appréciation des qualités propres à chacun. Il est donc nécessaire de clarifier les choses et, pour cela, de comprendre la « valeur perçue » par les particuliers aussi bien que leurs attentes en termes de services.
Cette valeur perçue se décline en deux dimensions :
- La dimension utilitaire. C’est le rapport entre le coût et le bénéfice. Il faut que l’agent immobilier apporte quelque chose de concret à la transaction pour justifier sa commission: mise en valeur du bien, promotion par le biais d’outils innovants, efficacité des supports de diffusion, facilitation des démarches, etc. Dans cette optique, il s’agit de déterminer ce que les prospects attendent de vous en signant un mandat, et de proposer des outils et des leviers de promotion différenciants (comme la visite virtuelle ou l’Espace Propriétaire ©).
- La dimension affective. Elle dépend de l’expérience relationnelle, de la façon dont un particulier va travailler avec un agent immobilier qui est aussi un véritable partenaire. Au-delà de l’expertise et des compétences, la valeur du professionnel réside dans son accompagnement et dans la qualité des interactions. En ce sens, le professionnalisme, l’esthétique des supports digitaux, la présentation de l’agence physique, les qualités relationnelles de l’agent, tout cela joue un rôle majeur dans la valeur perçue. L’Inbound marketing, le storytelling, ou encore la mise en valeur des avis clients sont autant de façons de favoriser cet aspect émotionnel.
Demain, l’agent immobilier 3.0
Demain, les agents immobiliers qui se refuseront à prendre le virage du digital ont toutes les chances de partager le même destin que les dinosaures. L’astéroïde Web s’est abattu sur la planète immobilière, et plus rien ne pourra changer cet état de fait.
Seule solution : prendre les mesures qui s’imposent. Et comprendre que le professionnel de l’immobilier doit évoluer avec son temps et avec les attentes des prospects en termes de conseil, d’expertise, d’empathie et de qualité relationnelle. Qu’il doit s’emparer du digital pour devenir un « agent immobilier 3.0 » (voir, à ce sujet, notre article « Vis ma vie d’agent digital »).
Les agents immobiliers ne risquent pas de disparaître à cause de l’essor du digital ; ils pourraient s’éteindre à force de regarder passer le train du web sans monter dedans. Heureusement, la transformation numérique est moins une menace qu’une opportunité : celle de se réinventer et de repenser sa proposition de valeur pour qu’elle soit mieux adaptée aux besoins et aux attentes des prospects.
L’avenir des professionnels de l’immobilier est une page blanche qui reste à écrire. Alors, à vos claviers !
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